CHAPITRE VINGT-QUATRE
2247 unités de temps du 67ème jour de la quatrième ère de la Reconquête, Marche du Silence/ zone montagneuse de la planète Alkador, système Telarius.
Arko, Elda et Irul observaient la vallées verdoyante en contrebas du plateau montagneux où s’était crashée leur navette, avec des regards plutôt inquiets. En effet, cette région de la planète était une véritable concentration de centres militaires importants, principalement des centres d’entraînement pour l’infanterie ennemie. Afin de facilité la mission des Premières Lames, cette zone aurait dû subir plusieurs attaques majeures pour détourner l’attention de la plupart des humains… mais aucune force covenante d’aucune sorte n’était en vue.
Toutes les bases ennemies aux alentours étaient entièrement intactes. A travers le grossissement de leurs macro-jumelles, les sangheilis pouvaient nettement voir l’intense activité qui régnait dans chacun des complexes militaires ennemis, certainement due à la dernière mission des Premières Lames. Ce que les services de renseignement de l’Alliance pensaient être le quartier général des humains dans ce secteur se trouvait d’ailleurs juste au pied de la montagne où ils se tenaient.
- La situation est très mauvaise, annonça Arko tout en sachant que son expression était bien faible. Ils sont certainement en train de préparer une contre-offensive.
- Ils vont se diriger droit vers le complexe souterrain, fit Irul. Et nous sommes en plein sur leur route…
- Si nous abandonnons la navette, nous n’aurons plus aucun moyen de contacter la flotte. Seul le transmetteur du cockpit est assez puissant pour atteindre les vaisseaux en orbite.
- Peut-être pourrions-nous espionner leurs transmissions radios pour connaître leurs plans ? proposa Irul.
- Bonne idée ! Zupa ! Scanne toutes les fréquences et trouve-moi celle qu’utilise les humains !
Il ne fallut pas longtemps au sangheili d’élite pour capter des transmissions ennemies. Bien que le signal soit partiellement brouillé par quelques parasites, la qualité était suffisante pour comprendre les paroles humaines. Une voix forte distribuait des ordres presque comme autant de beuglements :
« Ici le colonel Guerdick ! Que le troisième et le quatrième bataillon d’infanterie se tiennent prêts à partir ! Nous allons montrer à ces salopards de covenants ce dont les marines sont capables ! Départ dans quinze minutes ! »
Alors qu’Irul écoutait cette voix avec attention, une idée émergea brusquement jusqu’à lui. Il scruta l’intérieur du quartier général ennemi à la jumelle durant plusieurs dizaines de secondes avant de trouver ce qu’il cherchait.
- Elda ! J’ai besoin que tu descendes quelqu’un !
- Quoi ? fit la sangheile avec une surprise non contenue.
- L’officier humain en uniforme, au centre du camp.
- Mais il y a au moins cinq kilomètres de distance !
- Je sais que tu peux le faire.
Peut-être que si quelqu’un d’autre lui avait dit ces mots, Elda n’y aurait pas crut. Seulement, il n’y avait rien dans tout l’univers qui aurait put donner plus de force, plus de courage, ni plus de détermination que le regard d’Irul posé sur elle. Il y avait quelque chose de magique en lui, qui lui faisait envie et peur à la fois. Un pouvoir qui la dépassait complètement, imbibé dans les étranges yeux verts du jeune soldat. Si une bombe à fragmentation serait tombé juste à côté d’elle à ce moment, elle n’en aurait certainement pas ressentit la moindre peur.
- D’accord, dit-elle. Je vais le faire.
Lentement, Elda épaula son fusil de précision et s’allongea par terre, avant de connecter l’optique de son arme au minuscule écran qui sortit de son armure pour se placer juste devant sa rétine droite. Même avec un grossissement maximum, sa cible ne devait pas faire plus de trois millimètres de haut, et il lui fallait pourtant réussir à atteindre la tête. Car il était certain que si elle ratait son tir ou ne le tuait pas sur le coup, les autres humains aux alentours allaient immédiatement essayer de protéger cet officier.
Mais le doute avait totalement disparu de l’esprit d’Elda. Aucun tremblement n’était visible sur la moindre partie de son corps, et lorsqu’elle pressa la détente, la décharge de plasma fila droit vers sa cible pour lui perforer la boîte crânienne d’une oreille à l’autre. Le soldat humain chargé des communications qui se tenait à côté du colonel fut complètement recouvert de morceaux de cervelle ensanglantées, tandis que dans toute la base une panique indescriptible s’était emparé des troupes.
- Excellent, Elda ! la félicita Irul. Magnifique ! Je savais que tu y arriverai !
- Cela va nous faire gagner un peu de répits le temps qu’ils essayent de se réorganiser, fit Arko. Maintenant retournons à la navette !
Mais soudain, la radio de Zupa se mit à grésiller alors qu’une nouvelle transmission humaine se faisait entendre, tandis que dans le ciel, d’étranges météores étaient apparus pour filer droit vers le quartier général humain.
« A toutes les troupes du CSNU dans le secteur de Zankym ! A partir de cet instant, 2251 heures, temps militaire standard, la DAGSN (Direction des Affaires Guerrières Spéciales de la Navy) prend le contrôle de cette opération ! Tout le personnel militaire de cette zone répond désormais à nos voies hiérarchiques ! Continuez votre mobilisation ! Nous partons dans douze minutes ! »
Le quartier général était en effervescence. Partout, la nouvelle de la mort du colonel Guerdick s’était répandu à une vitesse affolante, principalement due au fait qu’il avait été impossible de ne pas voir l’éblouissant trait de plasma jaillir des montagnes dans la nuit noire. Le cadavre de l’officier gisait à terre dans une mare de son propre sang, et toute la coure intérieure de la base avait été désertée, de peur que quelqu’un d’autre se fasse descendre par ce tireur exceptionnel. Une panique indescriptible s’était emparé des troupes… jusqu’à l’arrivée des renforts.
Sur une planète assiégée de toute part, ces renforts étaient inattendus, quasi inespérés. Ils étaient tombés du ciel par des capsules de largage comme autant de messages de mort pour leurs ennemis, et un espoir incomparable pour tout humain qui posait les yeux sur eux. Leur seule vision donnait la certitude de remporter la bataille.
Ils étaient deux. Enormes, grands, impressionnants, et parfaits. Vêtus d’armures qui leur donnait l’aspect de véritables dieux de la guerre, ils avançaient fièrement au milieu des troupes, les dévisageant derrière les visières polarisées de leurs casques. Partout où ils allaient, ils apportaient le courage et la détermination dans les cœurs humains, de la même façon qu’ils savaient perforer ceux de leurs ennemis d’une peur sans limite avant d’y joindre leur quota de plomb. Ils étaient des spartans, et rien ne semblait pouvoir leur résister.
Tous les soldats du CSNU s’écartèrent alors que ces formidables guerriers se dirigeaient vers l’armurerie. Dès qu’ils y pénétrèrent, les personnes qui s’y trouvaient sortirent immédiatement dans un sentiment d’admiration mêlé d’une profonde crainte. Profitant qu’ils étaient seuls, l’un des deux spartans retira son casque pour respirer autre chose que de l’air filtré, laissant apparaître le visage d’une jeune femme aux cheveux bleus, aux yeux rouges et au visage d’ange.
Rei-114 était une particularité chez les spartans. Elle avait été recrutée sur une planète éclairée par un soleil bleu, nommé Icarus. Cet astre énorme dégageait tellement d’énergie que seule la neuvième planète de son système était habitable, et les autres calcinées sous la puissance de l’étoile géante. Ce monde avait été parmi les premiers découvert par le CSNU durant l’époque de la Grande Migration, et les explorateurs n’avaient pas été très regardants sur les critères d’acceptation à la colonisation. Des milliers d’humains furent alors envoyés à la surface de cette planète pour y vivre sous l’étrange lumière de leur nouveau soleil. Les effets ne fut connue qu’à la dixième génération de colons, dont les rétines s’étaient adaptées à l’omniprésence d’ondes bleues, et avaient pris une coloration rouge vive. De plus, les cheveux des Icariens devinrent systématiquement bleus afin de renvoyer un maximum des ondes lumineuses et éviter l’insolation. Rei faisait donc partie de ces « mutants », mais à part ces deux traits morphologiques très « exotiques », elle était une humaine comme les autres. Son entraînement de spartan l’avait conduit à devenir un soldat d’élite totalement polyvalent, capable de remplir n’importe quel type de mission… tant que son coéquipier de toujours était avec elle.
Alors qu’elle observait les diverses armes que contenait l’armurerie, elle lui dit doucement :
- Tu devrais enlever ton casque toi aussi, Jack.
- Merci du conseil, fit l’autre spartan en imitant sa partenaire.
Jack-115 n’était pas aussi spécial que Rei, d’un point de vue visuel. Avec ses cheveux bruns mi-court et ses yeux bleus, il passerait presque inaperçu. Bien que son visage avait comme tous les spartans une expression habituelle très froide, c’était sans compter sur le teint pâle de sa peau qui le rendait tout aussi angélique que Rei. Comme elle, il n’excellait nul part et préférait largement se sentir très compétent dans toutes les disciplines militaires existantes. Sa passion était la documentation. Il passait souvent des nuits entières avec Rei à lire les livrets techniques des derniers équipements ou véhicules du CSNU, de façon à pouvoir user au mieux du matériel à disposition. Sa principale caractéristique était d’être particulièrement déterminé : lorsqu’il commençait quelque chose, peu importe les épreuves qu’il restait à traverser, il le finissait toujours.
Rei et Jack ne se séparaient jamais, et avaient toujours effectué toutes leurs missions ensembles depuis le début de leur entraînement sur Reach, alors qu’ils n’avaient encore que six ans. Les spartans avaient coutume de dire que chacun d’eux était une partie d’un même corps ou d’une même âme, car ils agissaient toujours de manière coordonnée et synchronisé. Mais rien ne se rapprochait du travail d’équipe de ces deux combattants. Ceux que leurs comparses spartans appelaient avec respect « les Deux Anges de la Mort » vivaient et combattaient dans une parfaite symbiose, agissant et pensant de la même manière sans même avoir à se parler. Certaines rumeurs de liens télépathiques courraient à leur sujet, mais ils étaient les seuls, avec le Dr Halsey, à connaître la véritable raison de ce leur proximité :
Lors de l’opération d’augmentation physique des spartans, parmi les substances qu’on leur avait injectées se trouvait un implant thyroïdien catalytique destiné à augmenter la fabrication d’hormones de croissances pour renforcer leur corps. Cet implant avait cependant un effet secondaire, bien que jugé largement acceptable pour un programme militaire : il supprimait toute pulsion sexuelle. Mais apparemment, cet effet ne s’était pas manifesté chez Rei ni chez Jack. De ce fait, l’intense amitié qui liait les deux spartans n’avait pas été rompue, et s’était même renforcer, jusqu’à devenir probablement bien plus qu’une simple amitié…
- Si on doit aller déloger ces enfoirés du complexe souterrain, fit Jack, mieux vaut privilégier les armes de proximités. Plan de bataille…
- … epsilon IV avec équipement de type P, acheva Rei à sa place en armant le chien de son fusil à pompe. C’est déjà fait.
- Parfait. Maintenant, allons les cueillir !
Remettant méthodiquement leurs casques, ils sortirent tous deux dans la coure intérieure de la base. Tout en faisant bien attention de ne pas se mettre dans la ligne de tir de l’ennemi, il avancèrent jusqu’au poste de communication et là, Jack demanda un rapport sur l’état de préparation des troupes :
- Tout le monde est prêt, monsieur ! fit le seconde classe derrière ses instruments. Et j’ai quelque chose qui peut vous intéresser.
- Qu’est-ce que c’est ?
- Notre satellite espion a intercepté une communication covenante provenant apparemment de leur vaisseau amiral. Bizarrement, ils le transmettaient sur une fréquence qu’ils n’ont encore jamais utilisée jusque là. Voici un enregistrement :
Le soldat appuya sur une série de touches, puis la voix grave caractéristique d’un élite surgit des hauts-parleurs, s’exprimant bizarrement dans la langue humaine :
- Ici le commandant Urtanee ! J’appelle le groupe de combat Alpha ! La navette de Sa Sainteté le Prophète de la Pénitence a été abattue par les humains et s’est écrasée ! Mais notre Guide est toujours en vie, et plusieurs de ses gardiens sont encore là pour le défendre. Toutes nos forces sont actuellement mobilisées sur l’autre face de la planète, ce qui fait que tout renfort est impossible pour l’instant depuis notre position. Vous êtes le seul groupe disponible dans ce secteur pour leur porter secours. Rendez-vous au plus vite à ces coordonnées et défendez la zone le temps que nous puissions intervenir ! Commandant Urtanee, terminé !
- Avez-vous analysé les coordonnées envoyées avec ce message.
- Oui monsieur. Elles coïncides parfaitement avec celles d’un l’appareil ennemi que nous avons descendu non loin d’ici.
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